
La mer s’arrête autour
Des ruines des vieux Paris
Mon père avance
Il change d’âge en marchant
Ça lui va bien
Enfin, ça dépend
Du coin de rue.
Pas une clope
Nulle part dans le décor
Il n’a pas recommencé à fumer
Depuis qu’il est mort
Les rues noires sortent de la mer
Des temps très anciens
Chantent aux fenêtres
Occupées jadis par les Résistants.
Des taudis s’élevent
Les tours et coupoles
Extravagantes
On en contourne les ombres
Qui se parlent à elles-mêmes
De souvenirs pas encore nés.
Les places comme des calmars
Fuient devant nous
Des nuages de sang qu’on écarte
Pour mieux marcher dedans.
Nous arrivons au café
Où jadis les Allemands
Avaient brûlés vif
Toute la troupe
Et le public du théâtre
D’autres dehors,
Étaient morts éventrés
Et tous ces évènements
Jamais arrivés
Tous ces fantômes
Creusaient ma mémoire
Pour s’y ancrer.
Le père me laisse
Au manège
« Voilà mon fils
Maintenant tu sais »
Je sais que je sais
Mais quoi?
Pourquoi suis-je interpelé
Par un passé menteur
Qui ne m’appartient pas
Sauf pour l’horreur?
Chaque matin
Je me réveille double
J’ai marché toute la nuit
Dans des endroits écorchés
Qui sont en même temps miens
Et étrangers
Chaque fois je reviens
De trop.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Oskar_Kokoschka
Source : New York Public Library
https://digitalcollections.nypl.org